Institut de Mimopédagogie
A l’école de Marcel Jousse

Accueil > Marcel Jousse > Biographie > Biographie par Albert Petit

Biographie par Albert Petit

Publié le 22 décembre 2011 par Yves Beaupérin

JOUSSE MARCEL (1886-1961)

Spécialiste original de l’étude du style oral, du rythme et du geste, Marcel Jousse est né à Beaumont-sur-Sarthe dans un milieu de paysans illettrés. Son père était un simple journalier. Sa mère récitait, en les rythmant et en les balançant, des traditions orales. La prise de conscience de ce bercement maternel initia l’enfant aux mécanismes anthropologiques repérables principalement dans les milieux où domine le style oral. Marcel Jousse, qui fit de brillantes études classiques, commença, à l’âge de douze ans, l’étude de l’araméen et de l’hébreu pour connaître la langue parlée par Jésus. Ordonné prêtre en 1912, il entre dans la Compagnie de Jésus en 1913, puis fait la guerre comme officier d’artillerie. En 1918, il est envoyé comme instructeur aux États-Unis et séjourne dans les réserves des Indiens, dont il étudie les expressions gestuelles.

De retour à Paris, il entreprend des études de phonétique, de psychologie normale et pathologique et d’ethnologie, avec les maîtres de l’époque : Jean-Pierre Rousselot, Pierre Janet, Georges Dumas, Marcel Mauss, Lucien Lévy-Brühl. Il poursuit en même temps ses recherches sur les mécanismes anthropologiques fondamentaux. En 1924, il publie dans les Archives de philosophie un mémoire qui le rend célèbre : "Le style oral rythmique et mnémotechnique chez les verbo-moteurs". Cette synthèse de ses observations et de celles de nombreux chercheurs définit une approche nouvelle qui fera l’objet de son enseignement pendant vingt-cinq ans, l’"anthropologie du geste".

De 1932 à 1950, il enseigne à l’École d’anthropologie de Paris et, en même temps, à l’École pratique des hautes études (1933-1945). Il donne aussi, de 1932 à 1956, des cours libres à la Sorbonne et dirige, de 1932 à 1940, le Laboratoire de rythmo-pédagogie de Paris.

Pendant cette période, il ne publie que de courts mémoires scientifiques. Les mille conférences prises en sténotypie sur ses instructions restent alors inédites. Son œuvre ne commença à être publiée qu’après sa mort par sa collaboratrice, Gabrielle Baron, auteur de Marcel Jousse. Introduction à sa vie et à son œuvre (1965). En 1969, paraît L’Anthropologie du geste (2e éd. 1974), ouvrage de synthèse qui s’ouvre sur deux autres volumes : L’Anthropologie du geste. 2. La Manducation de la parole (1975) et 3. Le Parlant, la parole et le souffle (1978).

L’œuvre de Marcel Jousse se présente comme celle d’un savant et d’un expérimentateur appelé à renouveler de nombreuses disciplines par la découverte des lois fondamentales qui commandent les mécanismes logiques spécifiques de l’Anthropos. Au premier rang de ces lois et mécanismes, Jousse place le "mimisme", qui est à l’origine de tous les processus de formation de la parole, de la pensée, de l’action logique dans les divers milieux ethniques. Le mimisme est cette force spécifique de l’Anthropos, aussi mystérieuse mais aussi irrécusable et irrépressible que la faim ou la soif, qui fait que l’enfant rejoue spontanément (à la différence des anthropoïdes, qui ne sont capables que de mimétisme opératoire) les sons, les mouvements, les "gestes" (ce mot recouvre, chez Jousse, tout ce qui peut être enregistré par les sens) de son univers. La pensée est et ne peut être que la prise de conscience de ces "gestes" enregistrés, de leur apposition, de leur imbrication, de leur transposition, de leur inhibition, etc. La pensée et l’action sont gestuelles, l’une microscopique, l’autre macroscopique. Elles existent sur le mode "chosal" et sur le mode verbal. Aux origines (et cela se constate encore de nos jours chez les peuples qui ont gardé une expressivité spontanée et chez les enfants), la parole et l’écriture étaient concrètes, "chosales". Elles se sont "algébrosées" à travers les millénaires sous l’effet de la loi, également universelle, du "formulisme", qui est une tendance biologique à la stéréotypie des gestes, ceux qui procèdent du mimisme comme les autres. Cette loi du formulisme explique l’évolution des langues, des écritures, des mentalités, des cultures et, en même temps, d’une part, le risque de sclérose qui les guette, d’autre part, l’apparition des chefs-d’œuvre de l’expression humaine.

Jousse pose une troisième loi fondamentale : la pensée, la parole, l’expression humaine sous toutes ses formes tendent à se balancer sous l’effet de la structure bilatérale du corps. C’est la loi du bilatéralisme, dont le rôle en logique formelle et dans les cultures commence à être mis en lumière.

Les investigations et découvertes de Jousse, qui suscitèrent pendant un certain temps l’enthousiasme, principalement dans le champ de la "psychologie linguistique" et de l’ethnolinguistique, intéressent en fait une grande partie des sciences humaines, dans la mesure où celles-ci se trouvent unies en profondeur au niveau des mécanismes anthropologiques de base qui jouent dans l’inconscient logique et affectif.


© 1999 Encyclopædia Universalis France S.A. Tous droits de propriété intellectuelle et industrielle réservés.